La course aux désirs

Une vieille femme et son mari bûcheron travaillaient dur pour couper deux fagots de bois par jour. L’un était vendu sur le marché tandis qu’ils gardaient l’autre pour se chauffer. Les deux vieux vivaient chichement, mais pouvaient compter sur davantage de riz cette année, peut-être une nouvelle toiture pour l’année prochaine et un bœuf dans trois ans.  Pourtant, ils se plaignaient sans cesse de leur sort. Un jour qu’ils se rendaient dans la forêt, ils croisèrent un génie, chance extrêmement rare ! Celui-ci leur donna le choix:

« Dans ma main gauche, un trésor: la possibilité de vous payer ce que vous désirez. Dans ma main droite: la tempérance. »

Le mari, convaincu qu’une telle opportunité ne se présenterait pas deux fois, choisit sans hésiter la main gauche. Pour la tempérance, ils en avaient fait preuve jusqu’ici et c’était bien assez !

Grâce à l’argent, la femme voulut goûter une cuisine plus savoureuse: chaque soir, pendant un an  ils se payèrent des mets exquis. Mais bien vite, voyant qu’ils ne pourraient jamais s’offrir tous les plats existants, ils abandonnèrent. Ils songèrent ensuite à faire réparer leur maison.

« Mais pourquoi se contenter d’une pièce alors que nous pouvons nous payer une belle maison ? », dit le mari.

Ils firent donc venir tous les architectes de la région, et tous leur proposèrent des modèles, des plans et des matériaux différents... si bien qu’au bout d’un an les deux vieillards n’avaient pas encore choisi. Pressés de dépenser leur argent, ils se rappelèrent alors qu’ils avaient besoin d’un bœuf: « Pourquoi un seul ? demanda le mari. Nous pourrions acheter un troupeau entier ! ». Mais là encore, les races bovines sont nombreuses et le couple ne sut décider laquelle de la Charolaise ou de la Limousine était la meilleure…

La vie des deux vieux fut un calvaire : un nouveau désir effaçant l’ancien ils s’épuisèrent à désirer sans pouvoir s’offrir quoi que ce fût.  Lorsqu’à nouveau le dieu se présenta à eux, il leur dit: « Sots que vous êtes ! Vous possédiez déjà la tempérance. Qu’aviez-vous besoin d’un trésor ! »

Savoir régler ses désirs est la plus grande richesse que nous puissions souhaiter. Car un désir est par nature insatisfait: mieux vaut se contenter de peu pour être comblé que de désirer toujours mieux et ne rien obtenir.